Alana Riley
Division des tâches et du pouvoir
Texte du commissaire Nicolas Mavrikakis :
Ah, la grande épopée de l’art moderne ! Elle s’est bâtie à coup de grands génies ! Certes, ils étaient presque tous des hommes, blancs, occidentaux, vivant à Paris puis à New York, mais quels génies libres, hors du commun, hors du système, ayant tout sacrifié pour l’art !
L’artiste Alana Riley nous donne pourtant une version un peu différente de cette histoire héroïque…
Dans sa vidéo Who’s Afraid of Red, Yellow and Grey, s’inspirant d’un motif à la Barnett Newman, Riley revisite cette odyssée moderne. Dans un travelling réalisé d’un point de vue aérien, on y voit l’artiste qui nettoie le sol peint d’un local pour résidences d’artistes. Dans une approche humoristique et que je me permettrais de qualifier de féministe, elle nous montre comment l’aventure de l’art moderne, avant tout masculine, est néanmoins soutenue par le travail de femmes qui, encore de nos jours, dans les institutions muséales, occupent majoritairement les postes de conservation ou d’archivage... Elle évoque aussi le travail de toutes ces épouses qui ont inspiré bien des idées à leur génie de mari, ont soutenu leur art souvent aux dépens de leur propre carrière et qui ont, après la mort leur époux, continué à défendre bec et ongle leur œuvre ainsi que leur mémoire. Il y eut ces femmes d’artistes qui ont fait bouillir la marmite pour que leur conjoint puisse se consacrer à leur art. Pensons à Annalee (Greenhouse) Newman. Mais il y eut aussi des artistes qui furent bien souvent marginalisés par l’Histoire de l’art. Pensons à Lee Krasner, épouse de Pollock, à Sonia Delaunay souvent éclipsée par son mari Robert, à Helen Frankenthaler femme de Motherwell, à Sophie Taeuber-Arp, à Élaine de Kooning, à Joan Mitchell dont le travail se trouve enfin un peu mieux reconnu depuis quelques années…
Dans une autre vidéo intitulée White Monochrome on the Factory Floor, Riley montre donc comment l’art, ici le monochrome blanc, n’est pas qu’une simple idée. L’œuvre dépend de ses conditions sociales de production dont l’historien de l’art doit tenir compte.
Avec la vidéo In the Studio: Kettler's Cathedra (at work), Riley va plus loin. Elle tente de ruiner la grandiloquence du discours de cette épopée moderne, dont celle de la peinture abstraite (ici encore, celle composée de rayures ou de « zips » à la Newman), pour la ramener à une réappropriation humoristique, à une simple table de ping-pong. Faut-il désacraliser le récit de l’histoire de l’art ? D’une certaine manière, oui, c’est nécessaire.
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