Du détail à l'oeuvre
Texte de Yan Romanesky, commissaire invité:
«En histoire de l’art, le détail a toujours joué une fonction primordiale. Il exprime un désir de voir, de scruter, d’analyser en profondeur une oeuvre d’art. Le détail sert généralement d’outil pédagogique aux historiens de l’art afin de diriger le regard des lecteurs ou auditeurs sur un objet, un personnage ou une texture déterminante pour la compréhension d’une oeuvre. Mais il est également utilisé par de nombreux artistes qui s’en inspirent lors de leur processus créatif. Par exemple, Rodin réutilisait souvent certains détails de ses sculptures : mains, jambes, parfois même des corps entiers dont il retravaillait seulement la posture. De son côté, Picasso se réappropriait certains détails d’oeuvres très connues, le plus célèbre étant L’infante Marie-Marguerite au sein du tableau Les Ménines de Vélasquez.
Le détail est souvent un prétexte à des échanges avec le spectateur. Il l’invite à un jeu d’observation, d’interprétation et d’investigation. C’est en réfléchissant aux usages potentiels du détail dans la conception d’une oeuvre d’art que j’en suis venu à m’intéresser à la place qu’il occupe dans la production de certains artistes en art contemporain.»
J’ai ainsi choisi le travail de 12 artistes qui jouent de différentes manières avec un détail se trouvant soit dans leurs œuvres précédentes, soit dans celles d’autres artistes ou encore qui utilisent le détail comme sujet de leur œuvre.
L’approche scientifique
Certains artistes adoptent une approche définitivement scientifique lorsqu’ils ont recours à un détail d’une œuvre précédemment réalisée. C’est le cas de Denis Rousseau et de Sébastien Worsnip qui ont agrandi un détail microscopique d’une de leurs œuvres afin d’en tirer des images qui évoquent paradoxalement le monde du cosmos.
C’est également une méthode d’exploration de l’image qu’utilise Fabrizio Perozzi qui étudie les rapports entre la représentation et la réalité. En dessinant une succession de plans rapprochés autour d’une sculpture, présentés comme une bande cinématographique, Perozzi compare les effets de la composition et du traitement du noir et blanc entre chacun des plans.
De son côté, Stephen Schofield joue avec l’idée du catalogage scientifique en présentant dans ses dessins un échantillon ordonné de détails (bras, mains, formes structurelles) provenant de ses anciennes sculptures.
Cette idée du catalogage se retrouve également dans l’œuvre de Perry Bard qui s’est intéressée au film Mothlight de Stan Brakhage. Ce dernier a réalisé son film sans avoir recours à une caméra, en collant un inventaire de moustiques, de plantes, de terre et de détritus entre deux lanières de pellicule Mylar qu’il a ensuite fait transférer sur pellicule 16mm. Le résultat fait penser à une analyse au microscope qui aurait été filmée en accéléré. Perry Bard a elle aussi réalisé son film sans avoir recours à une caméra, en présentant en simultané un répertoire de six versions du film de Brakhage trouvées sur Youtube.
Les œuvres de Michel Boulanger, pour sa part, proviennent d’un véritable projet de recherche visant à instruire ses étudiants sur les techniques d’animation 3D. Ses dessins, qui semblent réalisés à la main, sont en réalité des éléments provenant d’extraits d’une courte animation 3D réalisée à l’ordinateur.
Le détail icône
Certains artistes réutilisent des éléments de leurs œuvres anciennes qui comportent une charge émotionnelle significative et qui continuent de les hanter longtemps après leur création. Dans les œuvres de Massimo Guerrera par exemple, un motif de personnage à trois têtes, provenant d’une performance réalisée à trois il y a quelques années, refait fréquemment surface. Ce motif, devenu presque iconique, ajoute au tableau auquel il est intégré une symbolique de partage entre les êtres.
Pour Sylvia Safdie, il s’agit de l’image d’une femme portant un bébé emmailloté sur son dos qui est apparue dans le champ de la caméra lors du tournage d’un plan fixe à Amzrou au Maroc. Cette apparition de quelques secondes incarne parfaitement une thématique chère à l’artiste, soit celle de la présence et de l’absence. Ce court extrait, détail d’une longue séquence de film, est ainsi devenu l’objet d’une série de photos et d’une série de dessins de l’artiste.
La recherche du détail
Quelques artistes utilisent le détail dans la conception même de leurs œuvres d’art. Sarah Bertrand-Hamel a, par exemple, utilisé un procédé de mise en abîme par lequel elle a reproduit une œuvre ancienne, qui avait elle-même comme sujet une œuvre précédemment réalisée. À chaque fois, elle utilise un support différent, par exemple en employant le dessin pour reproduire une de ses photographies qui, elle, montrait une de ses installations. Ses œuvres deviennent ainsi continuellement un détail de ses œuvres suivantes.
Annie Briard, dans son œuvre Perceptual Moment #8, met en scène le détachement d’un petit segment de la trame de fond d’une image. Ce procédé oblige le spectateur à prendre le temps d’analyser l’œuvre afin de connaître la nature de ce détail, qui s’agrandit très lentement. Le détail, mais aussi la curiosité qu’il suscite, deviennent ainsi le sujet même de l’œuvre.
Dans l’œuvre Fleuron d'été de Jacques Fournier, réalisée à partir de lanières de livres, il ne nous reste plus que des fragments de phrases, de petits détails d’histoires qui, lues indépendamment, prennent un sens nouveau en nous laissant imaginer le contexte duquel elles proviennent.
Cette idée de la déconstruction fait également partie du processus créatif d’Andréa Szilasi. Dans un musée, avec son portable, l’artiste a photographié un détail d’une sculpture de femme nue qu’elle a ensuite agrandi, imprimé, déchiré, recollé et photographié. Ce détail devient ainsi méconnaissable, acquérant dans les techniques de transformation de Szilasi des qualités sensuelles indéniables.»
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